jeudi 3 avril 2014

Mike Mignola décrypte "Hellboy in Hell #1" !


Toujours dans le cadre des vingt bougies du démon écarlate, le site A.V. Club a demandé à Mike Mignola si il pouvait décrypter pour les fans d'art séquentiel les cinq premiers numéros de l'ongoing "Hellboy in Hell". Et coup de chance pour nous, pauvres mortels que nous sommes, il a répondu par l'affirmative. Aujourd'hui, nous nous intéresserons au premier numéro de l'ongoing (tout traduire d'un coup aurait signifié la mort cérébrale de votre hôte), The Descent. Enjoy :

The A.V. Club : Quand avez-vous décidé de tuer Hellboy ?

Mike Mignola : C'est assez dur de m'en souvenir. Pendant des années, je savais que je devrais éventuellement le tuer, mais comme je voulais dessiner un monde plus fun que le monde réel, je savais que j'étais amené à aller un jour en Enfer. Lorsque j'ai commencé "Hellboy : Darkness Calls" avec Duncan Fegredo, j'ai su qu'on s'approchait de ce moment fatidique…mais je n'étais pas encore certain de la façon dont j'allais le tuer.

J'ai toujours les grands arcs narratifs de Hellboy en tête. Du genre, Hellboy doit aller là et puis quelque chose l'amène dans ce lieu, et puis un autre truc l'emmènera dans cet autre lieu. Lorsque j'ai commencé à travailler avec Duncan, j'ai soudainement réalisé que tout était en train de nous conduire à ce moment fatidique. Mais vous ne savez jamais à l'avance quels sont les personnages qui apparaîtront dans cette scène que vous avez en tête depuis des années. Du coup, lorsque j'ai commencé à développé l'histoire de "Darkness Calls", j'ai pris conscience que l'homme cochon (Gruagach) allait être ce véhicule qui conduirait le récit vers ce point précis qu'est la mort de Hellboy. J'avais donc à ce moment là toutes les pièces du puzzle... et le reste s'est fait tout seul.



Lorsque j'ai envoyé Hellboy au fond des océans avec des sirènes et que je l'ai fait revenir sur terre afin de faire de lui l'héritier légitime du trône d'Angleterre, je savais que j'étais allé tellement loin avec le personnage - beaucoup plus loin que ce que j'avais l'habitude de lui faire vivre -, qu'il était destiné à aller en Enfer. Lorsque vous écrivez sur un personnage, il  y a ces moments où vous vous arrêtez et où vous vous dites : "là, je ne peux plus repartir en arrière". Quelques fois, les pièces de dominos tombent plus vite que vous ne le pensiez et vous vous retrouvez très vite dans un lieu où vous saviez, plusieurs années auparavant, que vous seriez amené à y aller un jour…mais vous y arrivez plus tôt que prévu et c'est exactement ce qui s'est passé.

AVC : Vous avez décrit l'Enfer comme un lieu "fun" où vous souhaitiez aller. C'est une formule plutôt intéressante pour définir ce à quoi les gens doivent inconsciemment s'attendre de votre vision de l'Enfer… mais il y un vrai sentiment de fantaisie imprévisible et déchaînée qui transparait des cinq premiers numéros de "Hellboy in Hell".

MM : J'ai toujours été plus à l'aise en dessinant des trucs liés à la fantaisie. Je pense d'ailleurs que la fonctionnait plutôt bien sur la période où j'ai abandonner la série. Les trois livres signés Duncan Fegredo sont vraiment excellents et je n'aurais probablement pas pu faire mieux que lui ou bien rendre justice à l'histoire. Mais en revenant sur le personnage, j'ai tout de suite su que je ne voulais pas dessiner à nouveau le monde réel. Je l'ai déjà fait, je n'ai jamais vraiment été très à l'aise en le dessinant, et je voulais revenir sur un comic book avec lequel j'aurais pu faire tous les trucs que j'aime tant - je voulais un comic book où tout est possible. Du coup, l'Enfer de "Hellboy in Hell" est le monde de fantaisie le plus proche de celui que j'avais commencé à développer sur "The Amazing Screw-On Head" et toutes ces petites histoires qui gravitent autour. C'est mon petit univers de fantaisie, quoi.

AVC : Il y a cette excellente séquence d'ouverture montrant un coeur tomber en Enfer et se transformer peu à peu en Hellboy, et précédant cette pleine page montrant le personnage dépourvu de sa couleur rouge et se tenant debout sur un rocher entouré de monstres bizarres. Ce qui frappe vraiment avec cette page, c'est le travail effectué sur la colorisation - le rouge intense est remplacé par un vert brillant que l'on verra par la suite essentiellement dans les décors. Comment se passe votre collaboration avec Dave Stewart lorsqu'il est question des couleurs à choisir pour chaque scène, et pensez-vous à la colorisation lorsque vous commencez à dessiner ?

MM : Je pense tout le temps aux couleurs. Parfois, j'y pense même avant de penser à la façon dont je vais dessiner une scène. Cette chute dans les Enfers était présente dès les premières ébauches de l'histoire. Concernant cette scène montrant Hellboy tomber dans les Enfers - passer d'un coeur rouge vif, puis zoomer dessus afin de faire apparaître Hellboy -, j'ai simplement pensé que ça ferait une transition sympa et intelligente entre le passage d'un monde à l'autre. Montrer Hellboy dans un rouge intense puis, au moment où il s'écrase au sol et que la lumière disparait, l'exposer dans une couleur verte fut quelque chose d'assez dur à faire. Un Hellboy rouge dans un décor noyé de vert aurait facilement donné l'impression d'être face une image de Noël. Mais nous sommes habitués à la couleur rouge de Hellboy depuis maintenant plusieurs années. Du coup, Dave et moi avons eu l'idée qu'à partir du moment où nous plongerons Hellboy en Enfer, sa couleur varierait en fonction de l'environnement dans lequel il se trouve… ce qui n'a jamais pu être le cas dans le monde réel. 



Ce fut quelque chose de vraiment libérateur que de mettre de côté la couleur rouge de Hellboy, et Dave et moi avons étroitement travaillé ensemble sur ces premiers numéros. En général, j'ai quelques vagues idées de la couleur que je veux appliquer à telle ou telle série. Avec cette scène "verte", tout ce que je savais avant de commencer à la dessiner, c'est qu'elle devait être "verte". Les couleurs de l'abysse - la partie des Enfers qui est montrée dans ce premier numéro - et ce sentiment de chaos qui en émerge…tout ça était vert dans mon esprit.

Nous discutons généralement d'un numéro en le prenant case par case. Je disais à Dave, "Cette scène est triste", ou bien, "Cette scène est calme mais en arrivant à cette case, les choses commencent à bouger, et cette case redonne un côté calme à la scène." Il y a donc un rythme dans les couleurs et c'est important. C'est quelque chose que Dave ne voit pas nécessairement lorsqu'il travaille sur mes planches; du coup, je lui donne des indications sur l'ambiance que je veux donner ou bien sur l'émotion que je veux exprimer dans telle ou telle scène. Vous pouvez apporter beaucoup de choses à une narration grâce aux couleurs. Le travail de colorisation est donc très important.

Pour dire à Dave que cette scène doit être calme… en fait, je ne sais pas quelles couleurs peuvent exprimer telle sensation ou bien tel sentiment, mais Dave et moi travaillons ensemble depuis si longtemps que nous avons fini par développer notre propre langage. Il sait quelles couleurs me plaisent et lesquelles ne me plaisent pas. Lorsque je lui parle des couleurs que je veux, je peux me référer à un projet sur lequel nous avons travaillé par le passé ou bien à "cette couleur de ciel que j'aime bien", et nous discutons souvent comme ça. Nous travaillons ensemble depuis maintenant 15 ans et je serais perdu aujourd'hui sans lui.

AVC : Le premier numéro vous a également donné la possibilité d'injecter dans votre série toute l'influence que Jack Kirby a pu avoir sur vous. Je pense notamment à ces monstres géants ou bien encore à ce combat opposant Hellboy à une sorte de démon métallique.

MM : Exact. Je n'ai jamais eu la chance de rendre hommage à Kirby dans mes précédentes séries…ou bien de faire ce qui pour moi est un comic book à l'ancienne. C'était tellement fun d'ajouter ce magicien qui lance des incantations magiques. J'ai pu, grâce à ça, rendre hommage à ce genre de comics. J'étais donc vraiment excité de faire ça et j'aimerais le refaire avant qu'il ne soit trop tard.

AVC : La dernière partie du numéro marque un changement radical lorsque vous montrez le spectacle de poupée façon "Christmas Carol" qui dépeint la scène voyant le fantôme de Jacob Marley rendre visite à Scrooge. Qu'est-ce qui a influencé cette scène ?

MM : C'est ma scène littéraire préférée et je pensais qu'elle collerait bien au ton de cette série. Cette scène des marionnettes fait écho à ce qui va suivre dans la série. La séquence entière est construire autour de : "Et nous voici arriver à l'endroit où nous nous préparons à entrer quelque part, et tu vas aller y faire un tour." Je trouvais que cette idée collerait parfaitement à ce que ferait Hellboy en arrivant en Enfer, c'est à dire "y faire un tour". Mais je savais aussi que je voulais injecter une idée bien précise dès le premier numéro de "Hellboy in Hell" : "les enfants, je vais faire tout ce que j'ai envie de faire. Je vais faire des trucs de dingue et si je tourne cette scène comme ça, c'est parce que j'ai eu envie de la tourner comme ça."


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